Colloque des 12 et 13 octobre 2006
Publié en 2008 aux éditions Vrin : voir la page Ouvrages
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Liste et résumés des communications
12 octobre 2006, matin
Marie-Jeanne Königson-Montain La notion de monde renversé (die verkehrte Welt) dans la Phénoménologie de l’esprit
La notion de monde renversé intervient dans les derniers développements du chapitre III de la Phénoménologie de l’esprit de Hegel. Au-delà du supra-sensible, qui correspond à la connaissance des phénomènes par l’entendement, la conscience parvient à un deuxième supra-sensible (le monde renversé), ce qui lui permet de prendre conscience d’elle-même comme sujet se pensant comme tel, comme Je = Je. Au moment où la conscience accède à sa vérité comme conscience de soi est déjà présente la formule de l’idéalisme, tel qu’il apparaîtra dans le chapitre V, lorsque s’unifient, avec la raison, la conscience et la conscience de soi.
Jean-François Kervégan Figures du droit dans la Phénoménologie de l’esprit
Y a-t-il une pensée du droit dans la Phénoménologie de l’Esprit, bien que son objet immédiat soit autre ? On s’efforce ici de montrer que oui, tout en restant attentif à ce qui distingue cette approche du droit de celle des textes systématiques berlinois. Certains des passages les plus connus de l’œuvre de 1807 établissent ce qu’on pourrait appeler les conditions marginales du droit : sa place se situe entre la pure violence du combat pour la reconnaissance et l’ouverture infinie de l’histoire. Ceci posé, on peut étudier les figures du droit dans la Phénoménologie, en s’attachant en particulier à l’étude des chapitres VI et VII. Cette étude montre ce qui distingue la conception de la Sittlichkeit qui est celle de Hegel en 1807 et celle que mettront en place les Principes de la Philosophie du Droit.
Catherine Malabou La confession est-elle l’accomplissement de la reconnaissance ?
Cet article entend analyser la figure duelle de Rousseau dans la Phénoménologie de l’esprit. Les deux oeuvres que sont le Contrat Social et lesConfessions semblent se contredire l’une l’autre, introduisant une scission entre reconnaissance juridique et reconnaissance personnelle. Ce problème, proprement politique, magistralement mis en lumière par Hegel, structure encore notre actualité.
Jean-Louis Vieillard-Baron (page web) Etat divin, Etat laïque
Prenant appui sur le dernier paragraphe des Principes de la philosophie du droit, on dégage deux problèmes principaux, celui de la réconciliation de l’État mondain ou laïque et de l’État comme modèle immanent ou rationalité idéelle dont l’Idée même est l’effectivité, et celui de la violence inhérente à la vérité et que celle-ci doit abandonner en vue de sa réconciliation dans l’effectivité. La Logique montre elle-même cette violence interne au vrai. Il résulte de cela quelle est la place de la religion dans l’État : l’État hégélien (qui intègre en lui la famille et la société civile bourgeoise) n’est la » volonté divine » qu’en tant qu’il est laïque, en ce sens que la religion, institutionnellement présente en lui, n’exerce aucun pouvoir politique dans la mesure même où elle est l’expression centrale de l’Esprit absolu ; la position de Hegel (PPD § 270 R) est plus défensive en 1821 qu’en 1830 (Encyclopédie, § 552 R) où il affirme que la vie éthique de l’État et la religion chrétienne sont de » solides garanties réciproques « .
12 octobre, après-midi
André Stanguennec Hegel et Nietzsche interprètes de Socrate
Hegel et Nietzsche ont privilégié l’un comme l’autre de façon exceptionnelle la figure de Socrate dans l’histoire de la philosophie européenne. Selon le premier , il fut » le tournant principal de l’esprit en soi-même « , tandis que pour le second, il représente » un tournant et un pivot de l’histoire universelle « . Nous décelerons plusieurs points communs aux interprétations hégélienne et nietzschéenne de Socrate : la rupture que provoque la réflexion avec l’éthique traditionnelle des moeurs grecques ; la diffusion devenue populaire et banale de l’accès à la réflexion philosophique ; la trop sévère critique de la tragédie dont va hériter Platon ; et pour finir, l’importance de la maïeutique et de la dialectique comme méthodes du savoir rationnel. Toutefois, les évaluations de Socrate et de sa postérité sont opposées de part et d’autre : tandis que Hegel voit en Socrate l’amorce d’un progrès dans un optimisme rationnel qui n’a fait que croître jusqu’à lui, Nietzsche considère Socrate comme le commencement catastrophique d’une décadence en effet optimiste, mais reversible, dont il est possible et nécessaire d’inverser les valeurs au bénéfice du pessimisme dionysiaque qu’il prône.
Christophe Bouton Hegel et les oeuvres de l’esprit
Cette communication se propose d’analyser la conception hégélienne de l’oeuvre selon tous ses aspects individuels et collectifs, dans les domaines éthique, politique, historique et esthétique. En nous appuyant notamment sur les textes de la Phénoménologie de l’esprit, nous soutenons 1) que le concept d’oeuvre (Werk) est un concept fondamental de la philosophie de Hegel, envisagée comme une pensée de l¹effectivité (Wirklichkeit), et 2) qu’il constitue comme tel une distance implicite vis-à-vis du luthéranisme. L’un des tours de force de la philosophie de Hegel est en effet d¹avoir développé une pensée de l’oeuvre comme effectivité et vérité de l’esprit, tout en étant baigné dans l’atmosphère spirituelle du protestantisme, qui n’accorde pas à cette notion une telle valeur. Dans la pensée de Hegel, l’oeuvre se dit en plusieurs sens (pratique, poïétique, éthique, historique, esthétique). Selon toutes ses figures, l’oeuvre se définit comme une activité de l’esprit impliquant un processus de devenir-autre, de s’extérioriser, de s’objectiver, de s’universaliser dans des actes qui possèdent une durée spécifique. Comme telle, l’oeuvre est la vérité de l¹individu ou du peuple qui est à son origine. L’oeuvre n’est critiquée, sous la plume de Hegel, que lorsqu’elle ne répond plus à sa vocation d’universalisation, et retombe dans la particularité. Plus l’ouuvre est universelle, plus elle est conforme à son concept et capable de durer. Cette participation à l’oeuvre de l’esprit, si minime soit-elle, procure à l¹individu ce que Ernst Bloch appelle » une immortalité métaphorique « .
Jean-Marie Lardic La dialectique herméneutique de Hegel
La dialectique hégélienne ne consiste pas seulement en un procédé déductif, ni en une construction conceptuelle, ni en une description ou une narration. Elle semble régie par l’interprétation du sens des étapes phénoménologiques ou des concepts logiques, à partir du savoir qui s’y exprime dans son absoluité dont le terme de la Phénoménologie de l’esprit constitue une prise de conscience et un accomplissement. Mais ce qui régit l’interprétation du parcours phénoménologique, scandé par le décalage entre la visée et le langage qui l’exprime en menant au-delà d’elle, n’est-il pas inapplicable dans le cas de la logique où la pensée s’identifie au sens dans toute sa plénitude ? Pourtant, on le verra, le procès logique lui-même peut être expliqué en termes herméneutiques, si l’on sait y voir la logique actionnelle d’un esprit.
Bernard Mabille (page web) L’opacité de l’absolu
La troisième section (Effectivité) de la Doctrine de l’essence commence par un chapitre sobrement intitulé » l’absolu « . Passage énigmatique pour deux raisons : d’une part il disparaît dans les versions ultérieures de la Logique (celles de l’Encyclopédie), d’autre part le lecteur s’attendrait à voir ce titre figurer à la fin de la Science de la logique. Devant un tel texte la littérature ne se laisse pas décourager. Elle en offre une lecture interne (expliquer pourquoi l’effectivité est d’abord caractérisée comme » l’absolu « ) et une lecture historique (le chapitre en question est une reprise spéculative de la philosophie de Spinoza comme en témoignent les divisions : absolu – substance, attribut, mode). Ouvrant le chapitre en question figure un petit texte de cinq phrases. C’est ce passage que nous avons choisi d’analyser en insistant sur deux points. D’une part le texte révèle l’impuissance constitutive de la métaphysique pré-kantienne à penser l’absolu (il lui reste opaque parce qu’elle ne peut que balancer entre l’exercice d’une indéfinie négation supposée protéger l’infini de la finitude et l’affirmation confuse d’une totalité de déterminations qui n’est qu’une accumulation de prédicats sans relations organiques). Il permet d’autre part de comprendre l’absoluité de l’absolu sous le signe de l’absolution aux deux sens d’une libération de la finité (absolution ascendante au-delà de l’opacité du donné) et d’une libération de l’absolu lui-même (qui ne vit qu’en s’absolvant de son opacité ou de son abstraction pour s’extérioriser et se retrouver en son autre).
13 octobre, matin
Myriam Bienenstock (page web) Hegel et les faits
« L’histoire est vide » : dans sa philosophie de l’histoire, Hegel le dit et le répète à ses contemporains. Il le
dit à tous ceux qui en appelaient alors à un « esprit du peuple » enraciné dans le passé, donc à l’histoire, comme à la source de toute légitimité. Il le dit aux juristes, défenseurs de l’Ecole historique du droit, qui cherchaient eux aussi dans l’histoire une légitimation, voire même un « concept », de droit. Il le dit enfin à tous ceux qui, se drapant dans une dignité alors toute nouvelle d’hommes de science, se réclamaient de ce qu’ils dénommaient des « faits ». Mais d’où vint donc le succès de ce petit mot de « fait » (Faktum – des faits – matter of fact, Tatsache) à la fin du XVIIIe s., et que signifie le terme? – Dans cet article, nous montrons que Hegel reprit la question, mais aussi la réponse, de Lessing : s’interrogeant, comme Lessing, sur la question de savoir si des « faits » peuvent servir de fondement à la foi religieuse, il se tourna vers la raison.
Emmanuel Cattin Le philosophe et l’expérience
La Phénoménologie de l’esprit est le grand livre de l’expérience. Le sens d’une telle expérience est double : il s’agit tout autant de l’expérience comme mouvement et conduite (Erfahren) de la conscience que de la rencontre de l’être (das reine Auffassen) en laquelle celle- ci s’accomplit comme conscience. Ainsi le grand livre du sujet, le livre de l’activité, est-il tout autant et d’abord le grand livre de la substance, le livre de l’être. Or le livre de l’expérience est lui- même le contenu d’une expérience pour la conscience qui indissolublement, à chaque fois, le rencontre et l’accomplit. Telle est bien la grande loi hégélienne : tout est dans l’expérience.
Hélène Politis Kierkegaard lecteur de la Phénoménologie de l’esprit
Contrairement à ce que suppose ordinairement le public, Kierkegaard fut un excellent lecteur de Hegel, et beaucoup des schémas de pensée proprement kierkegaardiens résultent d’un dialogue philosophique rigoureux et vivant avec le Système. Cette conférence retrace donc, brièvement mais aussi précisément que possible, quelques étapes remarquables de la relation philosophique de Kierkegaard à Hegel. L’ironie, l’épreuve, le paradoxe, la dialectique de la généralité et de la singularité, la morale, l’éthique, la foi (et quelques autres concepts décisifs pour notre modernité) sont ainsi passés en revue selon une grille de lecture kierkegaardienne » constamment rapportée à Hegel « .
Franck Fischbach Marx lecteur de la Phénoménologie de l’esprit
Par l’analyse de l’interprétation que Marx donne de la Phénoménologie de l’esprit de Hegel dans ses manuscrits parisiens de 1844, cet article tente d’étayer la thèse selon laquelle, dès cette époque, Marx accède à un point de vue philosophique propre qui suppose la rupture avec Hegel. Cette rupture se marque à la manière dont Marx transforme la conception du rapport sujet-objet : les hommes sont compris par Marx comme des vivants dotés d’une activité naturelle d’objectivation d’eux-mêmes et c’est uniquement la dépossession des objets produits et la transformation du travail en activité désobjectivante qui engendrent la conscience de soi comme sujet. La réconciliation hégélienne de la conscience d’objet et de la conscience de soi, la compréhension de la première comme moment de la seconde deviennent donc pour Marx le résultat même du processus d’aliénation.
13 octobre, après-midi
Norbert Waszek Descartes, Jacobi, Schleiermacher et la « philosophie de la subjectivité » selon Hegel
Cet article examine le § 77 de l‘Encyclopédie des Sciences Philosophiques (2e et 3e édition : de 1827 et 1830) avec une question précise : le recours à Descartes qu’il contient est-il motivé par des préoccupations de l’époque, le débat de Hegel avec une « philosophie de la subjectivité », celle associée d’abord avec Jacobi, puis avec Schleiermacher ? Le § 77 se trouve dans la troisième partie du Concept préliminaire de la Logique, qui porte le titre « Le savoir immédiat » (§§ 61-78). Si l’on compare avec la première édition de l‘Encyclopédie, celle de 1817, on constate que Hegel a fondamentalement réélaboré et élargi ce « Concept préliminaire ». Pour ce qui concerne plus spécialement la section intitulée « savoir immédiat », on ne trouve rien, dans la première édition, qui lui corresponde. Il s’agit d’un texte tout à fait nouveau, ce qui renforce notre thèse, selon laquelle l’intention de Hegel, d’avoir recours à Descartes contre les » mauvais cartésiens » de son époque, fut une spécificité de ses années à Berlin donc, plus précisément de 1826 à 1830.
(Titre et résumé correspondant au texte qui sera publié)
Yves-Jean Harder Le destin du hegélianisme
Le destin du hégélianisme est la réflexion de celui-ci dans la culture de l’époque, autrement dit dans la
modernité, qui se caractérise par la scission entre le politique et le religieux, et la subordination du théologique à l’anthropologique. Le hégélianisme subit dans cette transposition culturelle une inversion de ces motifs fondamentaux. Le destin présente le hégélianisme sous la forme de son autre, en naturalisant l’esprit et la négativité qui l’anime. L’accès de la modernité au hégélianisme suppose la possibilité de surmonter son destin, non en le niant, mais en le comprenant, c’est-à-dire en mettant en évidence son sens religieux.
Pierre Osmo Le théâtre de l’appropriation
On fait ici l’hypothèse qu’en entrant dans la Phénoménologie de l’esprit, non dans un roman ou dans une » odyssée « , mais comme on entre au théâtre, et à la condition d’actualiser sa forme léguée par les Grecs, on se donne le moyen particulièrement approprié de s’approprier le contenu, le mouvement, le sens de cette œuvre, dans la mesure même où s’y joue le destin d’une réappropriation par l’esprit de la scission constitutive, dès le départ, du propre de la conscience, voire, du propre du » propre » ; et ainsi – en assumant le paradoxe qui propose, en l’occurrence, d’entrer au théâtre, ce lieu par excellence de la représentation, pour sortir de la représentation et accéder au concept – de s’approprier soi-même au mouvement de la contradiction qui conduit au savoir absolu comme au lieu de sa solution.
Bernard Bourgeois La philosophie du langage dans la Phénoménologie de l’esprit
La philosophie du langage enveloppée par l’éloge que fait Hegel de celui-ci dans laPhénoménologie de
l’esprit peut être explicitée à travers une reconstruction du parcours phénoménologique comme intensification progressive de la performance langagière. Mais l’essence performative du langage culmine dans le discours spéculatif niant par son caractère spéculatif son caractère discursif, et révélant ainsi que, si le langage est le phénomène le plus spirituel de l’esprit, il n’est pas, pour Hegel, l’esprit lui-même.